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Louis Quintal, le chef oublié de la Lyre decazevilloise

À la faveur d’une nouvelle campagne de documentation et de recherche consacrée à l’ouvrage « Musiques à ciel ouvert », Louis Quintal vient d’être redécouvert en mai 2021 par l’auteur. Il fait parti de ces chefs oubliés ou parfois méconnus, des débuts de la Lyre decazevilloise.

Musicien du Bassin minier

Né le 8 juin 1873 à Cransac (Aveyron), Louis Quintal est un comptable âgé de 20 ans, qui travaille auprès de la compagnie métallurgique Commentry, Fourchambault et Decazeville. A la fin du 19ème siècle, il y a une intense activité artistique dans le Bassin minier : de nombreuses sociétés, antérieures à la création de la Lyre decazevilloise, initient à l’art musical (chant et instrument). Vraisemblablement, le jeune Louis y croise la route de la puissante société musicale de Cransac connue comme l’harmonie des mines de Campagnac, l’harmonie des mines et forges d’Aubin, mais aussi celle de l’Union musicale de Decazeville, parmi les principales phalanges du moment. Épris d’amour pour la jeune Cransacoise Marie Basiline Roques (1877-1971), leur mariage est célébré en la cité thermale, le 9 décembre 1896. De leur union vont naître Jeanne Marie Louise Ursule (1897-1972) ; Louis Charles François (1899-1921) ; et Raymond Benjamin (1901-1998).

La genèse de son parcours musical demeure à ce jour insuffisamment documentée, cependant lors de son service militaire, il est mentionné comme musicien à partir du 13 décembre 1895. Louis Quintal est vraisemblablement l’un des témoins de la naissance de la Lyre decazevilloise, le 1er juillet 1900, et semble rejoindre ce nouvel orchestre d’harmonie dès sa création. Sa présence est démontrée ultérieurement dans une photo datée du 4 décembre 1907, l’une des plus anciennes iconographie connue de cette société musicale. C’est avec Gabriel Lefebvre – soliste de renom et charismatique chef de la Lyre decazevilloise entre 1906 et 1914 – que Louis Quintal semble se tourner vers la carrière musicale à partir de 1907, période où il est initié à l’art de la direction d’orchestre. Personnage très impliqué dans la vie associative locale, notamment au cercle « L’avenir » à Fontvernhes en 1909, on le retrouve comme directeur des festivités decazevilloises l’année suivante, à l’occasion de l’inauguration du kiosque à musique devant l’église.

Promu chef de musique adjoint

Au sein de la Lyre decazevilloise, Louis Quintal gravit les échelons. Sa nomination comme sous-chef, à l’unanimité du collège des sociétaires (36 voix pour 36 électeurs), fait l’objet d’une communication par voie de presse, le 2 juillet 1910. Au côté du chef Lefebvre, son engagement musical à la Lyre va se limiter essentiellement à des tâches subalternes, conformément aux usages de l’époque. Toujours comptable à la compagnie, son activité de professeur de musique est avérée au quartier de Fontvernhes à partir de mars 1911, date à partir de laquelle, la musique va occuper dans sa vie une place encore plus importante. Des documents ultérieurs viendront préciser sa qualité de professeur de solfège et d’instruments de la famille des cuivres, notamment le cornet à pistons. En qualité de sous-chef de la Lyre decazevilloise, il est promu comme officier d’académie, promotion violette, le 13 mars 1911 au Journal Officiel.

Louis Quintal avec la Lyre decazevilloise, le 4 décembre 1907

Cette distinction est concomitante de la création à Decazeville en avril 1911, d’une nouvelle société de trompes de chasses – L’écho de Fontvernhes – dans laquelle Louis Quintal se voit confié la direction musicale. Toujours à Decazeville et la même année, on le retrouve aussi comme directeur d’une autre société de trompes – Les sonneurs réunis – avec laquelle il donne de nombreux concerts dans la Bassin minier mais aussi à Conques. Sa présence à Decazeville est avérée jusqu’au 6 avril 1913, date à laquelle il part s’installer à Carcassonne (Aude). Louis Quintal saisit l’opportunité de s’établir comme musicien de carrière, en répondant à une offre d’emploi dans la cité cathare.

Carrière professionnelle dans l’Aude

Dès son arrivée à Carcassonne, Louis Quintal prend la direction musicale de la société lyrique Sainte-Cécile, qui est un orchestre d’harmonie. L’un de ses premiers concerts, aujourd’hui documenté, est organisé le dimanche 11 mai 1913 au théâtre de la Cité, à l’occasion de la visite des excursionnistes marseillais. Avec cette société musicale, fondée en 1867, on recense une huitaine de concerts dirigés par Louis Quintal, au cours de cette première saison dans l’Aude. Cette dynamique va se poursuivre et s’amplifier jusqu’au début de la Première Guerre Mondiale. En parallèle, dans le cadre de cette association, Louis Quintal dispense des cours de musique gratuits (solfège et instrument) à destination des enfants de la ville. En temps de guerre, le 26 novembre 1916 en l’église Saint-Vincent de Carcassonne, la société lyrique Sainte-Cécile participe à une messe suivie d’une absoute solennelle pour les soldats tombés au champs d’honneur. Louis Quintal y dirige plusieurs œuvres musicales et à l’issue de la cérémonie, une manifestation patriotique est organisée au monument des enfants de l’Aude.

En 1917, une parenthèse heureuse vient égayer cette période troublée. Sa fille Jeanne convole en justes noces avec Limousin François Alexandre Abel, le 3 septembre à Carcassonne. Dès l’Armistice, Louis Quintal reprend en main, avec talent et brio, cette société lyrique Sainte-Cécile. Sa participation à de nombreux concerts, concours et festivals, à Carcassonne et ses environs, fait l’objet de nombreuses publications dans la presse locale et régionale, jusqu’à fin juin 1921. Un changement de situation intervient par la suite, possiblement en lien avec le récent décès de son fils Louis Charles François, le 19 février 1921 à Carcassonne, emporté par la tuberculose à l’âge de 22 ans.

En terre héraultaise

Après avoir occupé jusqu’à trois domiciles successifs à Carcassonne entre 1913 et 1922 – 13 rue de l’hospice, 54 rue Voltaire puis 24 rue Voltaire – Louis Quintal part s’installer dans le département voisin de l’Hérault, à Puisserguier dans la région de Béziers. En décembre 1922, il est recruté comme premier chef d’orchestre de l’union musicale dans cette commune – société musicale fondée le 11 novembre 1920 – en remplacement de M. Pomiers qui vient de décéder. Avec cet orchestre composé de 85 exécutants, il dirige un concert lors de l’exposition de Montpellier, le dimanche 10 juin 1923, à l’occasion de la visite du Ministre de l’Agriculture. Ce même jour en préambule, Louis Quintal offre avec ses musiciens, une aubade au siège du journal le Petit Méridional. Lors de cette prestation, le chef est dépeint dans la presse comme aussi dévoué et compétent que modeste. En qualité de directeur de la société musicale de Puisserguier, Louis Quintal est nommé par le ministère de l’instruction Publique et des Beaux-Arts, au rang d’officier de l’instruction publique, le 1er juillet 1923 au Journal Officiel. Cette distinction est remise par anticipation fin juin 1923, lors d’une cérémonie à la mairie de Puisserguier, par le député-maire Charles Guilhaumon, à l’occasion du succès de l’union musicale à l’exposition de Montpellier.

Louis Quintal (premier rang) avec l’Union musicale de Puisserguier en 1923. Collection les Mémoires de Puisserguier, Corinne Milhet.

En parallèle de l’orchestre d’harmonie, Louis Quintal s’établit comme professeur de musique, rue des arts à Puisserguier. Un nouveau palier musical semble franchi à partir de 1924 où ce chef d’orchestre tutoie les sommets de son art. Le 15 juin 1924, il réunit l’union musicale de Puisserguier avec la Lyre bitteroise, soit près de 200 instrumentistes pour la recréation de Déjanire de Camille Saint-Saëns aux arènes de Béziers. Cet évènement est relaté d’une façon dithyrambique par la presse locale. Toujours à Béziers, Louis Quintal dirige l’Arlésienne de Georges Bizet, avec chœur et orchestre, au théâtre municipal les 27 et 28 décembre 1924. Un autre vibrant succès à son crédit !

Le Châtelleraudais

Nouveau départ en 1926 pour Louis Quintal qui rejoint Châtellerault dans la Vienne. Il est domicilié successivement route de Richelieu (1926 à 1929) ; 10 rue Saint André (1929 à 1932) puis au 78 rue Jeanne d’Arc (1932 à 1935). Cette installation coïncide avec sa nouvelle nomination de chef de l’harmonie municipale à partir de janvier 1926 suite à la démission de son prédécesseur M. Sfordzan. Installé officiellement dans ses fonctions le 1er février 1926, Louis Quintal dirige son premier concert avec l’harmonie municipale, le 21 mars courant au kiosque de la promenade. Ce rendez-vous inaugural voit la création d’une marche pour orchestre intitulé Le Châtelleraudais, composé par Louis Quintal et dédié à Louis Ripault, maire de Châtellerault et également président de la société musicale.

Compositeur prolifique, on doit à Louis Quintal un catalogue d’œuvres originales pour fanfare ou orchestre d’harmonie. Parmi les partitions recensées, on peut citer :

  • Kasserien, pour orchestre d’harmonie avec tambours et clairons (pas redoublé)
  • Le Châtelleraudais (marche)
  • Les gars du Poitou (marche)
  • Lésigny, pour orchestre d’harmonie avec tambours et clairons (pas redoublé)
  • Lointains souvenirs (valse)

Quelques mois après, nouvelle distinction pour Louis Quintal avec la médaille d’honneur des sociétés musicales et chorales du ministère de l’instruction publique et des beaux-arts, une disposition publiée le 21 juillet 1926 au Journal Officiel. En outre, il est l’instigateur d’une véritable prouesse en juin 1927 où Le Châtelleraudais est interprété sous sa direction par 1100 musiciens et choristes, à l’occasion du 15ème congrès des sociétés musicales de l’Ouest. Dans la Vienne, on le retrouve aussi comme directeur de « L’Écho de la Forêt » société de Trompes de Chasse, mais aussi de l’harmonie de Thuré, deux sociétés musicales du secteur de Châtellerault.

Louis Quintal n’en n’oublie pas le Sud de la France et notamment sa précédente affectation dans l’Hérault. En effet, dès le 28 janvier 1928 à Pézenas, il s’associe à Émile Barthe, un écrivain français de langue occitane, lors de la création des « Raisins de Lune », une pièce de théâtre dont il signe la partition. C’est sans compter sur le concert de la société musicale de Puisserguier, le dimanche 17 novembre 1929, que Louis Quintal dirige dans le cadre de l’exposition de Béziers. Toujours avec Émile Barthe, il signe une deuxième partition, « La gitano », créée le 16 février 1932 à Narbonne. Nous constatons que Louis Quintal est impliqué en même temps dans deux territoires distants de plus de 500 km.

Portrait de Louis Quintal à Puisserguier vers 1925
(archives de l’harmonie municipale de Châtellerault, Louis Posay et Gérard Multon)

Franc-maçon au GODF

En parallèle, c’est à partir de 1931 que Louis Quintal intègre la franc-maçonnerie auprès du Grand Orient de France (GODF). Il y fréquente la loge L’Avenir à Châtellerault, d’abord au grade d’apprenti à partir du 21 novembre 1931, compagnon à partir du 5 novembre 1932, maître à partir du 21 octobre 1933 et enfin grand expert, responsable de loge à partir de 1934.

Après 27 ans de direction d’orchestre cumulés depuis son Aveyron natal, Louis Quintal est distingué en 1934 de la médaille d’honneur confédérale. Le 15 mai 1935, il quitte son poste pour une situation supposée plus avantageuse. Nommé sous-chef de la musique municipale de Nice, Louis Quintal s’installe en ville au 3 rue Antoine Gauthier.

Fin de carrière à Nice

Cette période niçoise demeure à ce stade insuffisamment documentée et de sa brillante carrière de chef, il n’occupe finalement plus qu’une place de numéro 2 dans cette société musicale. Comme à chaque fois, le sous-chef se limite à des tâches subalternes et n’intervient que rarement, le plus souvent en l’absence du chef. On doit certainement y voir une affectation de convenance, permettant à Louis Quintal d’attendre sereinement l’heure de la retraite. Cette harmonie municipale est cependant une puissante société professionnelle, où les musiciens sont contractualisés par la Ville, tant pour les répétitions que pour les prestations hebdomadaires. Avec plus de 40 concerts du dimanche par an, au kiosque de la place Masséna et avec un programme intégralement renouvelé à chaque fois, c’est peu dire que l’harmonie municipale de Nice occupe une place de choix dans la politique culturelle locale.

Dès le début de la Seconde Guerre Mondiale, cet orchestre, comme beaucoup d’autres, rentre dans une période de sommeil. De nombreux musiciens niçois sont mobilisés pour assurer notamment la défense des forteresses alpines. Sans perspectives musicales à court terme, et face à l’avancée des troupes italiennes qui viennent occuper Nice à partir du 11 novembre 1942, Louis Quintal décide de quitter les Alpes-Maritimes. Il trouve refuge chez sa fille Jeanne en Ariège et fait valoir ses droits à la retraite. Il décède à Pamiers, le 2 mai 1948 dans sa 74ème année.

Ci-dessous, animation d’un portrait de Louis Quintal en 1925 grâce à l’intelligence artificielle.